1971-05-21 INTERVENTIONS SUR L’EXPOSE DE P.LEMOINE
[…]M.GRASSET – Je voudrais poser à Israël une question. En parlant comme il l´a fait tout à l´heure et en particulier comme il l´ a fait à la fin de sa dermière intervention, est-ce se pose en mèdecin ou est-ce qu´il se pose en analyste?
M.ISRAEL – C´est très difficile, les dichotomies. Je comprends très bien cette question qui me paraît légitime. Mettons que j´aie comencé por être médecin et que lá-dessus j´ai découvert l´ analyse. Je n´ ai pas pour autant pu retracher ce que j´ avais pu savoir ou entendre ou apprendre en médicine auparavant. Mais je pense qu´au contraire ça me donne un certain matériel à analyser. Je ne renie pas certaines fonctions du médecin. Ce que je dénonce, c´ est un mésesage de la médecine.
M.GRASSET- Et peut-être cette question parce que je pense que, s´agissant de cette question, ce sont peut-être les médecins plus que les analystes qui peuvent essayer d´y donner réponse.
M.LACAN- Et peut-être aussi les analystes la poser différemment !
[…]
[…]M.BENOIT- Je reprends la parole parce qu´on a perlé de médicaments. Je crois que ce qui fonde la médecine, ce n´est pas l´existence des médecins, c´est l´existence des médicaments, ou plus généralement des objets thérapeutiques, de l´objets médical. Quelqu´un qui est malade est avant tout quelqu´un qui demande un objet. Et cette quête se situe certainement à un niveau extrêmement archaïque, tout à fait prècedipien comme on l´ a dit tout à l´heure.
C`est très nécessaire à un psychanalyste qui s´aventure dans l´univers medical de se demander, justement, ce que c´est que cet objet. Est-ce que c´est un objet biologique ou est-ce que c´est autre chose?
C´est seulement quand on s´est posé cette question que, lorsqu´on est psychanalyste, on peut s´aventurer dans l´univers medical en étant sûr que son désir n´est pas un désir de medicine mais un désir d´analyste.
À ce titre, la seule chose que j´aurais à épingler comme remarque, c´est que peut-être, dans ce qui nous a été présenté avec un caractère tout à fait impressionnant, lié à la façon fort bien ordonnée dont chacun pouvait témoigner de quelque chose qu´il avait sinon enregistré lui-même, en tout cas écrit pour la présentation ça prenait vraiment toute sa portée – donc il ne s’ agit absolument pas de considérer qu´un pareil témoignage soit quelque chose qui n´ait pas son incidence et sa portée; il est au coeur même de l´actualité et c´est vraiment très important ; néanmoins épingler ceci de désir du médecin est quelque chose qui me paraît devoir être mis parenthèses.
Si j´ai mis en avant le désir du psychanalyste, d´abord c´est avec un formidable point d´intterrogation, et justament en ceci qu´il n´est pas si facile d´en donner la formule. Je ne prétends pas jamais l´avoir donnée moi-même. C´est une interrogation tout à fait correcte puisqu´à l´intérieur de la discipline psychanalytique ou de l´expérience psychanalytique, comme vous voudrez bien l´entendre, le désir est une articulation tout à fait essentielle à definer. La transporter en dehors de ce champ implique naturellement toutes les corrections nécessaires sur ce qu´elle peut continuer àvouloir dire, en dehors du champ où nous l´avons articulée d´une certaine façon, où par exemple ce que j´appelle souvent d´une façon abrégée mes graphes ou mon algébre permettent de le préciser, dans les conditions de l´expérience analytique ; le projeter ailleurs, dans la relation à quelque chose qui se présente comme un terme qu´il faut appeler à la fois existant et en meme temps mythique, à savoir le médecin, comme si c´était là quelque chose d´essentiel, bien sûr, il faut bien voir qu´il y a là une réalité sociale tout à fait solide et instituée ; mais i lest certaint que cette institution prend sa portée d´une image tout à fait ancienne et qui nécessite d´être articulée avec une plus grande precision. On peut se mettre à faire une interrogation analytique de cette imagen archaïque, comme l´a dit tout à l´heure Benoît. Elle n´est pas archeïaque ; elle est toujours là. Il suffit de voir la reference que nous en avons eu tout à l´heure dans le langage d´Israël lui- même. Il nous a dit à un momento: ce que veut le médecin, tel que nous en avons l´expérience, c´est d´être un bon médecin ; c´est en effect absolument essentiel. Il peut en être comme de ce dont il s´agit quand les produits chimiques commencent à noyer Pobjer médical : les choses pour l´instant peuvent paraîatre se placer sur une frontière ètatique, va-t-on être conventionné o upas etc. il reste que derrière, pour tout ce qui garde la densité, le poids de ce que représente la figure du médecin, la facón le médecin luimême la vit, c´est d´être un bon médecin.
Il y a là quelque chose qui mérite tout à fait d´être interrogé en soi-même. Et, à cet égard, il est certain qu´il faudrait procéder par une série d´analyses comparatives ou meme d´une enquête où on pourrait arriver à serrer la question de plus près ; il n´y a pas un seul d´entre nous qui, étant médecin, n´ait pu chez des gens tout à fait proches de lui, accesibles, avec lesquels il dialoguait, comment tout un comportament est motivé par cette chose dont il ne suffit pas de l´appeler un idéal, parce que ces termes ont été précisés dans mon langage en fonction d´une certaine articulation analytique ; mais ça ne veut pas dire, par exemple, que le terme d ´idéal suffise à représenter ce qu´il y a sous cette fonction, sous ce statut, et dans quoi le médicin digne de ce nom trouve son assiette; qu´el soit assuré par la présence dont il s´agit de savoir si elle est seulement determinable sociologiquemente par cette fonction archaïque d´être le bon médecin, ceci mérite d´etre interrogé. Et là nous avons en effet la structure de quelque chose qui rapproche très très probablement de ce qu´on a dit, à savoir d´un objet bénéfique, d´un objet qui se communique ; le médecin est quelque chose qui, en quelque sorte, laisse participer d´une espèce d´essence de <bon quelque chose>. Dans mon dernier séminaire, j´ai assez accentué tout ce quón peut mettre comme poids different derriere ce mot de <bon>. Ce n´est pas une raison pour que, à notre égard, on puisse dire le médecin est bon, c´est-à-dire qu´il va passer ici à la casserole. Ce n´est pas de ça qu´el s´agit.
Et ce qui a pu être mis en évidence de quelque chose qui ne m´a jamais paru sans portée, c´est en effect – dans certains cas c´ètaint èclatant – la fonction du désir chez tel ou tel médecin. Mais le désir chez les médecins, il est bien clair qu´il n´a pas moins de fonction qu´ailleurs ; ce serait bien étonnant si les médecins y échappaient ; bien sûr, ils y trébuchent à chaque instant dans leur pratique, ce n´est certes pas leur privilège. De sorte que ce qui est à interroger , c´est la légitmité de la formule : le désir du médecin. Avant de savoir ce que c´est que le désir du médecin pris dans ce que j´ai appelé à l´instant son essence, ce qui n´est certainement pas un bon terme car il s´agit de quelque chose de beaucoup plus archaique que ce qu´il en est de l´essence ; enfin ce qu´en est du désir dans son rapport avec l´existence de ce qu´a très bien promu Benoît en parlant d´objet médical, c´est en effect une question, dont il n´y a véritablement aucun inconvénient à ce qu´elle soit prise par cet abord d´une expérience, l´experience de votre introduction dans le champ médical ; parce qu´à vrai dire, avant de penser comment nous allons résolber le champ médical dans le champ freudien, il faut bien dire que tout de même, c´est nous qui sommes les intrus.
En fait, c´est la question qui a toujours été laissée de côté trés expressément par les analystes ; s´il y a quelque chose qui peut être constitué de nouveau par mon enseignement, c´est bien que de certaines questions peuvent être posées, comme elles le sont en effect ici, qu´on peut espérer qu´une séance s´ouvre à partir de laquelle on peut serrer le tir, corriger les positions, introduire l´elément d´un repérage
Pour l´instant, il est bien certain que tout ce dont vous apporté le témoignage prouve que, pour ce qui est de ce repérage, nous n´en sommes pas prés, c´est-à- dire que pour l´instant non seulement on nage, mais ça paraît eu-delà de tout espoir:
Donc, ce dont it s´agit, c´est èvidemment de voir pourquoi, jusqu´à present, les analystes n´ont jamais posé, n´ont jamais meme abordé ce champ ; il se trouve, comme dans beaucoup d´autres cas, qu´on a passé, depuis qu´on avait le temps de travailler, c´est- à- dire depuis la fin de la dernière guerre, son temps à faire de chaque côté des simagrées. Les analystes, tous ceux qui ne sont pas de mon école trés exactement, ont passé leur temps à faire considérer que eux aussi avaient les vertus du bon médecin. C´était même leur abri principal. Grâce à ça, maintenant nous nous trouvons en effect dans la position qui est celleci, c´est à savoir que des analystes, c´est très essentiellement différent des médecins, et comme auparavant on a vécu sur la confusion, au moment où la confusion se dissipe, naturellement on est bon pour le malentendu, et tout ce que vous avez, en somme, mis en evidence par le témoignage du groupe strasbourgeois, c´est très exactement ceci, c´est que pour l´instant, c´est strictement inarticulable. Vous pouvez en effet saisir tout ce que vous voulez : des actes manqués, des bafouillages, des faiblesses incroyables, des aveux qui sont rarement recueillis. Mais ça ne constitue pas la plus petite amorce d´embrayage.
Là-dessus, Guattari a fait aussi une excelente remarque. Je ne sais pas si le voeu par lequel il a terminé, c´est- à- dire- si j´ai bien entendu – la substitution au médecin de cette fonction de groupe etc. je ne sais pas si c´est ça qui paraît pour l´instant doué du plus d´avenir, mais ce qui est certaint, c´est que l´axe général de son intervention m´a paru excellent.
M.ISRAËL- Je vais essayer de donner non pas une conclusion mais les impressions qui se dégagent de la discussion- si on peut appeler discussion ce qui s´institue au sein d´un groupe aussi important que le nôtre ici.
Je rappellerai simplement au départ que nous avons bien voulu venir parce qu´on nous a sollicités, que certains processus de répétition sont bien connus, qu´au fond ça me rajeunit de quelques années de réentendre des thèmes qui ont déjà été abordés à Strasbourg ; nous avons notamment entendu parler de l´objet.
Ça montre aussi que, lorsque quelqu´un de nous a une idée, il est bon qu´il la soutienne, qu´il ose la soutenir longgtemps et surtout qu´il réussisse à la soutenir longtemps, quelles que soient les critiques auxquelles cela l´expose
Je suis tout à fait d´accord qu´en effet, le désir du médecin, pour nous, ne signifiait pas- et- c´ est d´ ailleurs ce que j´ai dit lorsque j´ai parlé de l´intervention de Lemoine – une formule générale concernant l´ensemble des médecins. Il eut été plus prudent (je me fous de la prudence) si l´on voulait éviter certaines critiques ( c´est le seul risque que nous courons ici, il n´est pas très grave) de parler de notre observation : des avatars du désir chez certains médecins.